MONTREUIL, UN VILLAGE JUSQU’EN 1787.



Avant de devenir un des quartiers de Versailles, Montreuil fut des siècles durant un vrai village.

     A moins d’une lieue du village de Versailles, derrière la butte du Montbauron, existait depuis des siècles le très ancien village de Montreuil (Monstereuil). Il y avait là un moutier (Monasteriolo) fondé par Saint Germain à l’époque mérovingienne sous le patronage de Saint Symphorien d’Autun. Au XII° siècle, le village dépendait du seigneur de Montreuil, un vassal du comte de Montfort, lui-même vassal de l’abbaye de Saint Germain-des-près. Vers 1260, Geneviève, veuve de l’écuyer Jehan de Villoflain (Viroflay), fît don de ses terres à la petite église de Montreuil pour la célébration de messes pour l’âme des défunts.

     La seigneurie de Montreuil comprenait le Montbauron, s’étendait jusqu’aux terres de Viroflay, aux flancs des coteaux (de Picardie) une partie du grand étang (de Clagny), et au sud jusqu’à la seigneurie de Porchefontaine. Nous savons que les deux seigneuries de de Montreuil et de Porchefontaine finançaient à la fin du Moyen-Age une maladrerie destinée aux lépreux, à raison de quatre minots de seigles et quelques vignes sur le flan de la côte de Picardie. Elle est décrite sur les bords du grand étang (de Clagny) (approximativement à l’emplacement de l’actuel Lycée Hoche)

     Au 14° siècle, la seigneurie de Montreuil fut acquise par un riche prélat, Simon de Cramault, évêque de Poitiers, affairiste sans trop de scrupules, qui venait d’acquérir en 1386 la seigneurie de Porchefontaine, assemblant ainsi les terres de Montreuil et Porchefontaine. Quelques mois plus tard, il revendait l’ensemble à un des favoris du duc d’Orléans, Pierre de Craon pour dix mille pièces d’or. Le sieur de Craon avait le sang chaud, et se cru victime d’une machination. Il monta un guet-apens pour tuer l’auteur présumé, échoua, et se fit condamner au bannissement et à la confiscation de ses biens par le roi Charles VI. Porchefontaine fut rasé de « rez de pied et rez de terre ». Deux ans plus tard, le roi fit don des deux seigneuries de Montreuil et Porchefontaine à l’ordre des Célestins, un ordre monastique tout nouveau et qui avait les faveurs royales.

     Les Célestins de Paris possédaient ainsi une « maison des champs » qu’ils conserveront pendant près de trois cent cinquante ans. Sur les ruines du château, ils bâtirent sur les ruines du château de Porchefontaine une grande ferme et en firent à la fois une exploitation rurale et un lieu de repos. Ils n’y résidaient que peu nombreux à la fois, rarement en hiver, plus volontiers à la belle saison. Les moines administraient soigneusement leur domaine qu’ils baillaient à ferme et exploitaient soigneusement leurs bois tout autant que les nombreux étangs du ru de Marivel qui leur procuraient de fortes quantités de poissons d’eau douce. Sur leur domaine, ils hébergaient un procureur, qui avait sur « les biens de mainmorte » droit de haute et basse justice.


Plan du village de Montreuil en 1680, Arch. Nat°-

     Le village était alors dominé par la butte du Montbauron où étaient installées une tour forte et les fourches patibulaires (ou « bois de justice ») des Célestins. Les habitations étaient alors regroupées en deux hameaux distincts de part et d’autre du Montbauron : le premier autour du tracé de l’actuelle rue de Montreuil, le cœur du village, et le second autour du chemin du petit Montreuil (rue de Vergennes) qui conduisait à la route de Sceaux. L’église paroissiale, fort ancienne, était alors relativement éloignée puisqu’elle était située au carrefour de l’ancienne route de Paris (rue Champ Lagarde) et l’actuelle rue de l’Ecole-des-Postes.




L’église de Montreuil. Gravures in Alain Manesson Mallet. La Géométrie pratique.1702. Bibliothèque municipale de Versailles.



   Au 14° siècle, Montreuil semblait un peu moins prospère que son voisin mitoyen versaillais. En témoignait les impôts payés à Jean-le-Bon. Là où Versailles payait 40 sous, Montreuil n’en payait que 10. Depuis il s’était développé sous la férule des Célestins, avec une population composée essentiellement de paysans, de bûcherons et quelques artisans, boutiquiers, aubergistes et rouliers qui trouvaient à s’employer au passage du trafic incessant de la route de de Paris. Quelques vignes étaient cultivées sur les flancs du coteau  exposés plein sud, (Côte de Picardie). Elles ne disparaîtront qu’à la veille de la Révolution.

Au 17° siècle, lors du réaménagement des grandes avenues voulues par Louis XIV, la coupure entre le petit et le grand Montreuil fut accentuée par le tracé et la largeur de l’avenue de Paris. Les énormes travaux qui durèrent plus de quatre ans éloigna définitivement ce hameau qui tout en dépendant de la paroisse de Montreuil se développa autour de l’axe de la toute nouvelle rue des Chantiers. Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, Montreuil resta pauvre et peu peuplé : 1200 habitants comparativement à la ville royale. C’était alors un village de maraichers et d’horticulteurs qui fournissent la Cour et la ville en seigle, foin, légumes et un peu de vin. Quelques commerçants, boulangers, charcutiers et barbiers. Des blanchisseuses et des petits artisans, manouvriers et journaliers, mais aussi quelques gueux attirés par les ors de la ville royale.

Louis XV, qui cherchait à étendre le domaine royal, projeta dès 1723 d’acquérir les terres de Montreuil. Il fit faire une estimation des biens des Célestins évalués à 17 990 livres. La négociation fut longue et ce ne fut que le 1er janvier 1748 que les Célestins acceptèrent un projet d’échange de terres qui ne sera finalement ratifié qu’en septembre 1760. Si Montreuil faisait partie enfin du domaine royal, le village restait encore indépendant de la ville royale avec sa propre administration. Pour entrer dans Versailles, les habitants devaient encore passer l’octroi et payer ses taxes. Les multiples passages par le Montbauron permettaient de les contourner.

Eglise saint Symphorien. Carte postale vers 1900.



Finalement ce fut Louis XVI, toujours à cours de finances fraiches, qui annexa officiellement et définitivement en 1787, le territoire de Montreuil à la ville de Versailles, tant pour des raisons fiscales que pour mettre fin à la petite contrebande entre les deux villes. A la veille de la Révolution, Montreuil s’était développé. Les Versaillais allaient volontiers le dimanche s’amuser et s’encanailler dans les cabarets et guinguettes de Montreuil. Mais comme elle devenait la troisième paroisse de Versailles, après Notre-Dame et Saint-Louis, la vieille église trop éloignée fut détruite et remplacée par une nouvelle au cœur du village. Elle fut dédiée à Saint Symphorien en rappel de ses origines. Montreuil, devenu à la mode, accueillait maintenant les résidences secondaires des grands de la cour. Madame du Barry, la comtesse de Provence, madame Elisabeth, sœur du roi qui sera la bienfaitrice des déshérités du village, madame de Marsan, le comte de Vergennes et quelques autres courtisans fortunés.

La Révolution donna un coup d’arrêt à cette prospérité nouvelle. Deux siècles seront nécessaires pour que l’ancien village devenu un des quartiers vivant de Versailles prenne son aspect actuel.

Claude Sentilhes.

Sources : Les chantiers de Versailles. Cl. Sentilhes. Ed. Terra Nostra., 2013. /- Versailles, le quartier des Chantiers et son Histoire. UIA. 2008. J. Royen.. / Sept siècles d’histoire du quartier de Porchefontaine. Chaplot P., Dutrou Cl., 1998. / Claude Dietschy-Picard, Histoire du quartier de Porchefontaine. Imprimerie La Fourmi.1999. / Suzanne Mercet, la belle forteresse de Piere de Craon, revue de l’histoire de Versailles,1929.