LES AVATARS DE LA RUE DES CHANTIERS


Un exemple des modifications des cheminements versaillais dues au plan d’urbanisme royal avec ses trois avenues en trident.



    Au contraire de bien des rues de Versailles dont les noms ont pour fonction d’honorer les figures aristocratiques ou bourgeoises de la ville, la rue des Chantiers tire son nom de simples entrepôts de bois, qu’on appelait « chantiers » à une époque où le bois était une nécessité quotidienne. Il était la seule source de chauffage et la ville en pleine expansion l’utilisait en quantité. Les marchands avaient tendance à placer leurs ‘chantiers’ au plus près de leur clientèle.

    Lorsque Louis XIV décida de s’installer à Versailles, il dressa un plan d’urbanisme destiné à mettre en valeur sa demeure avec trois grandes avenues en patte d’oie convergeant vers lui, démantelant complètement le réseau des anciennes routes et cheminements ancestraux utilisé depuis des siècles. Les anciens accès aux villages de Buc et de Jouy qui n’étaient que des chemins de terre furent détruits. Auparavant la route de Jouy qui permettait de joindre la vallée de la Bièvres, était issue de la bifurcation de la grande route de Paris passant par Sèvres et Vaugirard. Cette bifurcation se situait à peu près à hauteur de notre actuelle gare Rive-Gauche. Dans toute la ville, tous ces chemins si anciens furent détruits par la construction de ces immenses avenues et des hôtels particuliers qui les bordaient.


Plan parcellaire avec tracé de la ville neuve. 1661


    Pour aller à Jouy, les habitants purent un instant penser que la nouvelle avenue de Sceaux pourrait les y conduire. Hélas celle-ci ne fut jamais terminée, fermée à l’est par les réservoirs Gobert, trop basse par rapport à la place d’Arme où on ne pouvait accéder que par une ‘rampe’ trop pentue, cette avenue resta inutilisable sous le règne du grand roi. Or celui-ci désirait plusieurs fois l’an, se rendre à Fontainebleau et ne pouvait y parvenir qu’en passant -au début- par Jouy et la vallée de la Bièvres, puis par Sceaux et Choisy. Un chemin non prévu initialement se créa spontanément en partant de l’avenue de Paris et passant derrières les communs de l’hôtel de la princesse de Conty qui permettait de retrouver le vieux chemin de Jouy. C’est derrières ces dépendances que les marchands de bois finirent par installer leurs ‘chantiers’ au plus proche de leur nouvelle clientèle de la paroisse Notre Dame. Ainsi quotidiennement, les versaillais vinrent chercher leur bois ‘aux chantier’ et finirent par nommer ainsi populairement « rue de Chantiers » cette partie de la route que les plans royaux dénommaient « route de Fontainebleu par Sceaux ».


Plan des cheminements anciens modifiés par les trois grandes avenues (Cl.S.)


    Au retour de Louis XV en 1722, celui-ci commença par déblayer la route de Fontainebleau des baraques et masures qui empiétaient sur le chemin. Et lorsqu’il étendit la ville royale jusqu’au carrefour de Noailles il attribua officiellement à cette portion de route, le nom que la population lui donnait depuis des décennies : « rue des Chantiers ». Au-delà du carrefour de Noailles où étaient maintenant installée la barrière de péage, fut bâtie le Chenil-Dauphin rejoignant ainsi le hameau du Petit Montreuil, la route conservant sa nomination de Route de Sceaux et Fontainebleau.


Accès aux "chantiers" et à la route de Fontainebleau en  contournant l'hôtel de Conti
       A la Révolution, les barrières d’octroi furent supprimées par souci d’égalité pour ètre rétablie dès le directoire où elles furent déplacées au carrefour de notre rue Albert-Samain. La rue des Chantiers se prolongeait dorénavant jusqu’aux barrières. Au milieu du XIX° siècle, le quartier subit de profondes modifications avec la création des lignes de chemin de fer et la construction de l’église Sainte-Elizabeth. L’accès à la gare se faisant par la rue des Chantiers, spontanément la population l’appela la Gare des Chantiers. Un nouveau quartier était en train de naitre qui s’appela naturellement « quartier de Chantier », du nom de sa gare.
Tracé de la rue des Chantiers et de la route de Sceaux par Louis XV. Plan Gaspard de Bailleul.1727.


    Dernier avatar de la rue : en 1935, la municipalité décida de modifier les noms de certaines rues. La rue des Chantiers fut coupée en deux : de l’avenue de Paris à la gare, elle devint la rue des Etats-Généraux en hommage aux Menus-Plaisirs où naquit la Révolution. Seule la partie s’étendant de la gare jusqu’à la rue Albert-Samain conserva son ancien nom des Chantiers. Cette modification conforta les versaillais dans l’idée que c’était le nom de la gare des Chantiers avait donné son nom à celui du quartier, oblitérant totalement le souvenir de des origines laborieuses et des anciens chantiers de bois où elle naquit.


Sources: Cl. Sentilhes, Les Chantiers de Versailles, Histoire d'un quartier méconnu. Ed. Terra-Mare. 2013./ Jacques Royen. Rapport de recherche del'UIA. 1008.