LES AVATARS DE LA RUE
DES CHANTIERS
Un exemple
des modifications des cheminements versaillais dues au plan d’urbanisme royal
avec ses trois avenues en trident.
Au contraire de bien des rues de
Versailles dont les noms ont pour fonction d’honorer les figures
aristocratiques ou bourgeoises de la ville, la rue des Chantiers tire son nom
de simples entrepôts de bois, qu’on appelait « chantiers » à une
époque où le bois était une nécessité quotidienne. Il était la seule source de
chauffage et la ville en pleine expansion l’utilisait en quantité. Les
marchands avaient tendance à placer leurs ‘chantiers’ au plus près de leur
clientèle.
Lorsque Louis XIV décida de
s’installer à Versailles, il dressa un plan d’urbanisme destiné à mettre en
valeur sa demeure avec trois grandes avenues en patte d’oie convergeant vers lui,
démantelant complètement le réseau des anciennes routes et cheminements
ancestraux utilisé depuis des siècles. Les anciens accès aux villages de Buc et
de Jouy qui n’étaient que des chemins de terre furent détruits. Auparavant la
route de Jouy qui permettait de joindre la vallée de la Bièvres, était issue de
la bifurcation de la grande route de Paris passant par Sèvres et Vaugirard.
Cette bifurcation se situait à peu près à hauteur de notre actuelle gare
Rive-Gauche. Dans toute la ville, tous ces chemins si anciens furent détruits
par la construction de ces immenses avenues et des hôtels particuliers qui les
bordaient.
Pour aller à Jouy, les habitants
purent un instant penser que la nouvelle avenue de Sceaux pourrait les y
conduire. Hélas celle-ci ne fut jamais terminée, fermée à l’est par les
réservoirs Gobert, trop basse par rapport à la place d’Arme où on ne pouvait
accéder que par une ‘rampe’ trop pentue, cette avenue resta inutilisable sous
le règne du grand roi. Or celui-ci désirait plusieurs fois l’an, se rendre à
Fontainebleau et ne pouvait y parvenir qu’en passant -au début- par Jouy et la
vallée de la Bièvres, puis par Sceaux et Choisy. Un chemin non prévu initialement
se créa spontanément en partant de l’avenue de Paris et passant derrières les
communs de l’hôtel de la princesse de Conty qui permettait de retrouver le
vieux chemin de Jouy. C’est derrières ces dépendances que les marchands de bois
finirent par installer leurs ‘chantiers’ au plus proche de leur nouvelle
clientèle de la paroisse Notre Dame. Ainsi quotidiennement, les versaillais vinrent
chercher leur bois ‘aux chantier’ et finirent par nommer ainsi populairement
« rue de Chantiers » cette partie de la route que les plans royaux
dénommaient « route de Fontainebleu par Sceaux ».
Plan des cheminements anciens modifiés par les trois grandes avenues (Cl.S.)
|
Au retour de Louis XV en 1722,
celui-ci commença par déblayer la route de Fontainebleau des baraques et
masures qui empiétaient sur le chemin. Et lorsqu’il étendit la ville royale
jusqu’au carrefour de Noailles il attribua officiellement à cette portion de
route, le nom que la population lui donnait depuis des décennies : « rue
des Chantiers ». Au-delà du carrefour de Noailles où étaient maintenant
installée la barrière de péage, fut bâtie le Chenil-Dauphin rejoignant ainsi le
hameau du Petit Montreuil, la route conservant sa nomination de Route de Sceaux
et Fontainebleau.
A la Révolution, les barrières
d’octroi furent supprimées par souci d’égalité pour ètre rétablie dès le
directoire où elles furent déplacées au carrefour de notre rue Albert-Samain.
La rue des Chantiers se prolongeait dorénavant jusqu’aux barrières. Au milieu
du XIX° siècle, le quartier subit de profondes modifications avec la création
des lignes de chemin de fer et la construction de l’église Sainte-Elizabeth. L’accès
à la gare se faisant par la rue des Chantiers, spontanément la population
l’appela la Gare des Chantiers. Un nouveau quartier était en train de naitre
qui s’appela naturellement « quartier de Chantier », du nom de sa
gare.
Accès aux "chantiers" et à la route de Fontainebleau en contournant l'hôtel de Conti |
Tracé de la rue des Chantiers et de la route de Sceaux par Louis XV. Plan Gaspard de Bailleul.1727. |
Dernier avatar de la rue :
en 1935, la municipalité décida de modifier les noms de certaines rues. La rue
des Chantiers fut coupée en deux : de l’avenue de Paris à la gare, elle
devint la rue des Etats-Généraux en hommage aux Menus-Plaisirs où naquit la
Révolution. Seule la partie s’étendant de la gare jusqu’à la rue Albert-Samain
conserva son ancien nom des Chantiers. Cette modification conforta les
versaillais dans l’idée que c’était le nom de la gare des Chantiers avait donné
son nom à celui du quartier, oblitérant totalement le souvenir de des origines
laborieuses et des anciens chantiers de bois où elle naquit.
Sources: Cl. Sentilhes, Les Chantiers de Versailles, Histoire d'un quartier méconnu. Ed. Terra-Mare. 2013./ Jacques Royen. Rapport de recherche del'UIA. 1008.