LES "CHANTIERS ", ambiguïté d'un mot,
à l'origine d'un contre-sens.
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Le nom de ce quartier a été la source de nombreuses erreurs d’interprétations au cours des siècles. Dans notre langage actuel les chantiers définissent généralement le lieu où l’on procède à des gros travaux, chantiers du bâtiment ou autres. C’est ainsi que pour nombre de versaillais, le quartier des Chantiers désignait au XIX° siècle un quartier ouvrier. Et pourtant il n’y a jamais eu sur ce quartier de chantiers de construction qui aurait pu justifier cette appellation.
Certes, s’étaient implantés au dix-septième siècle derrière le
magnifique Hôtel de Conti - notre Hôtel de Ville actuel – des logements
misérables qui abritaient des manœuvriers dont un certain nombre de maçons émigrés
du Limousin. Ce n’était qu’un alignement de masures de bois et de chaume,
insalubres, alignées autour de deux ruelles le plus souvent boueuses. On
l’appelait un peu par dérision « l’hôtel de Limoge ». Ces malheureux
allaient travailler loin, sur les vrais chantiers, ceux du monarque.
Détail
plan de Versailles vers 1750. BMV. On distingue l’Hôtel de Limoge derrière les
jardins de l’Hôtel de Conti, s’ouvrant sur le chemin de Sceaux, bordant un
terrain vague appel é le Camp des Fainéants au 18°.
D’ailleurs au 17° siècle le mot « chantier » n’avait pas la même signification que maintenant. Depuis toujours ce mot était lié au bois[1]. Il désignait tantôt des pièces de bois, tantôt des lieux où on travaillait le bois pour fabriquer des tonneaux ou des navires. Mais dans les villes il désignait communément les entrepôts, soit de bois de charpente, soit de bois de chauffage, et les marchands qui en faisait commerce. Un vieux dictionnaire de 1606 publié par Jean Nicot en donnait la définition suivante : Chantier : " La boutique ou le magasin où les marchands de bois d’œuvre, comme poultres, solives, chevrons, et autres telles grosses pièces tiennent leur marchandise, et le bois de destail pour brusler".
On allait donc communément chercher son
bois « aux chantiers » soit son bois de chauffage ce qui était pour
certain une nécessité quotidienne, soit pour les professionnels du bois
d’œuvre, de charpente ou de charronnage. Cette expression a d'ailleurs perduré
jusqu'au début du vingtième siècle où on dénommait encore ainsi les entrepôts
de charbon de bois et de bois à brûler. Au Québec qui a su conserver
une part de notre vieux français, encore actuellement, "aller aux
chantiers", c'est aller dans une exploitation forestière.
Par principe les marchands
de bois installaient leurs entrepôts qui étaient encombrants hors la ville, en
limite d'agglomération. A Versailles, Ils s'installèrent d'abord en bas du bois
des Gonard et en haut du Parc aux Cerfs de Louis III. Mais très vite les
marchands voulurent se rapprocher de leur clientèle qui se développait dans la
ville nouvelle autour de Notre Dame, trop loin de leurs chantiers. Cela s'était
aggravé avec les nouveaux hôtels en construction et avec la création des trois
grandes avenues qui avaient oblitérés les accès transversaux, nécéssitant de nouveaux cheminements.. L'ancien village
déserté était en voie de destruction. Le lieu qui leur parut le plus propice à
installer leurs chantiers furent les terrains qui se trouvaient derrière
l'Hôtel de la princesse de Conti auquel on accédait par l'avenue de Paris. De
là partaient les marchands ambulants qui à travers la ville apportaient à
domicile quelques fagots sur leurs épaules. Ce nouveau faubourg, 'hors la ville', autrement dit la banlieue, devint le lieu d'approvisionnement de bois
des versaillais. On allait « aux chantiers » chercher son bois et le
faubourg en garda définitivement le nom.
S’y côtoyaient autour de ces
entrepôts et de l’Hôtel de Limoge » tous les mal-logés de la ville,
manouvriers, maçons, débardeurs, colporteurs mais aussi quelques gueux qui
donnèrent mauvaise réputation au quartier. Ainsi le terrain vague à côté de l’avenue
de Sceaux fut appelé un temps le « camp des fainéants ». Mais dès le
milieu de 18° siècle, ce faubourg s’urbanisa avec la construction des écuries
du Comte d’Artois et des Menus-Plaisirs, tandis que s’y installaient nombre
d’artisans et de petits entrepreneurs. C’est alors que Louis XV déplaça les
limites de la ville au carrefour de Noailles et donna à la rue qui y menait le
nom de rue des Chantiers. Il officialisait ainsi l’appellation donnée par les habitants. Laquelle deviendra par la suite le nom du nouveau quartier. Son nom
apparut sur les plans de la ville.
La rue des Chantiers. Plan
Contant de la Mothe. 1783. BNF.
Ce n’est que plus tard, au
18°, que le sens du mot « chantier » s’étendit à tous les lieux de
travaux importants comme nous l’entendons aujourd’hui. Au milieu de
19° siècle, après la construction de la gare, le quartier devint officiellement
le quartier des Chantiers.
Mais déjà à cette époque on avait oublié les origines du mot. Pour le commun des versaillais le terme ne désignait plus que des chantiers de travaux. Le glissement de signification du « chantier de bois » vers le « chantier de travaux » devint définitif lorsque la municipalité se cru obligée en 1935, de changer les noms de rue. Le début de la rue que Louis XV avait initialement nommé rue des Chantiers fut désormais appelée rue des Etats-Généraux, repoussant la rue des Chantiers au-delà de la place Raymond Poincaré. Il n’y avait plus de raison pour que le versaillais rapproche le mot « chantier » des entrepôts de bois hors la ville qui lui avaient donné ce nom sous le règne du grand roi.
[1] . Chantier, du latin Canterius, chevron, échalas, étai, perche ou support. Le support le plus courant était les pièces de bois autour des quels s'organisait le chantier.